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Cacophonies élémentaires
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19 janvier 2010

Camp haut

Voici trois jours que nous étions partis, mes deux chevaux et moi.
Une monture pour le cavalier, une monture de bât, chargée du nécessaire pour bivouaquer le soir. Le sentier était rude, les journées étaient longues, les soirées passaient vite… Randonner à cheval est un plaisir unique, intégré au paysage, vous évoluez avec lui, surprenant un chevreuil au détour d’un chemin, dérangeant un lapin en lisière de bois… Les haltes déjeuner sont toujours trop courtes, desceller, débâter, laisser brouter son monde, tout en grignotant les pieds dans le ruisseau… Les haltes du soir souvent aléatoires… trouver un bout de terre suffisamment pourvu en herbe pour faire manger ses chevaux, suffisamment sauvage pour ne pas être civilisé, suffisamment plat pour accueillir la tente… le tout avec de l’eau à portée pour abreuver les bêtes et laver, un peu, le cavalier…
Trois jours à ce rythme passent vite, mais trois jours à ce rythme suffisent à vous couper du monde…
« Camp haut » était un ancien hameau perdu des pyrénées. Inaccessible par la route on n’y arrivait à cheval ou à pied, les véhicules motorisés étant interdits en été … « Camp haut » était ma première halte en gîte, un vieil homme et ses deux filles y vivant des promeneurs de passage et de l’élevage des chevaux. « Camp haut » était un lieu perdu, oublié de tous, à presque deux milles mètres d’altitude… Ce lieu m’avait été indiqué par des amis comme un gîte agréable, quoique sommaire, ne disposant ni de l’électricité ni de l’eau courante… C’était a priori le genre de lieu que je cherchais, suffisamment humanisé pour pouvoir échanger, suffisamment sauvage pour ne pas briser le rêve…
Ma première arrivée sur « Camp haut » reste un souvenir inoubliable… Imaginez une trop longue journée de marche, qui se termine par un raide sentier escarpé à travers une forêt de pins sombres, que vous parcourez à pied, devant vos chevaux fourbus… Imaginez ceci au crépuscule, les nuages arrivant, les cartes vous ayant trompé à une ou deux reprises, tout bivouac à flanc de coteau étant impossible… Imaginez cinq ou six habitations, sur un plateau herbeux au pied d’un lac, battu par un vent glacial, mélangé de neige fondue sous un ciel gris et sombre, le tout en plein mois de juillet…
Camp haut était pour moi l’oasis attendue, le havre de paix ou j’espérai trouver chaleur et sommeil réparateur…
Le hameau était constitué de plusieurs corps de bâtisses en ruine, une seule, la plus grande, semblant habitée, une fumée bleuâtre s’élevant de plusieurs cheminées. Des murets entouraient l’endroit, un portillon en bois en permettait l’accès depuis le sentier muletier que j’empruntais, alors qu’une plus grande « route » me faisait face, et semblait s’en éloigner, constituant l’accès principal, que je devrais prendre le lendemain…
A peine le portillon franchi une voix sèche sortie de nulle part m’accueillait : « Vous êtes en retard ! ». Je bafouillais une quelconque excuse, ne pensant pas être ainsi attendu, expliquant mon erreur d’itinéraire à une silhouette lointaine qui commençait à se dessiner dans le crépuscule, venant à ma rencontre. « Peut importe », me dit elle, « vos chevaux sont fourbus ». Je me retournais pour regarder mes compagnons de route, il est vrai qu’ils avaient piètre allure, les oreilles basses, le poil mouillé, un sentiment de honte m’envahit… Je voulais m’enquérir de l’endroit où les conduire pour les débarrasser de leur charge, espérant qu’une étable confortable leur serait offerte… Je n’eu pas le temps d’ouvrir la bouche que la voix sèche, comme ayant anticipé mon intension, se radouci quelque peu pour me dire : « laissez, je m’en occupe », se saisissant des longes et entraînant mes compagnons dans son sillage. Je voulu les suivre pour voir quel sort leur serait réservé quand la voix se fit sèche à nouveau pour me dire « laissez, vous dis-je, allez à la maison, un repas vous y attend ». Je n’insistais pas, pensant que ma soirée commençait bien…
La porte principale donnait sur une grande pièce, dans laquelle trônait une immense table, entourée de bancs. Une cheminée constituait le pan de mur face à la porte, un âtre de trois mètre se détachant du fait des flammes. Un vieillard assis sur un tabouret au coin du feu me dis d’une voix tout aussi sèche que celle de sa fille : « votre repas est servi, ma cadette est allée préparer votre chambre ». Je le fixais un peu interloqué, puis examinais la table, obligé de constater que mes hôtes n’avaient pas prévu de dîner avec moi... Saisissant mon hésitation le vieillard repris : « asseyez vous et mangez ! ».
J’obtempérai, une bonne odeur de ragoût ayant pris place en mes narines, la vue d’une miche de pain frais sur la table, d’une grosse tome de vache, et d’une corbeille de pommes éveillant en moi un soudain appétit. Je m’installais donc, et commençais à manger… Une fois les premières bouchées englouties, j’essayais de nouer la conversation, m’adressant au vieil homme : « vous vivez seul ici ? ». Une réponse sèche cinglant de l’autre côté de la pièce me répondis : « Oui, nous sommes seules avec notre père. Mangez, je vous ai préparé un bain chaud dans votre chambre ». Un peu interloqué je détournais mon regard du feu pour constater que les deux sœurs m’observaient, à quelques mètres de moi, debout dans l’obscurité. J’ignore laquelle avait parlé, j’ignore laquelle s’était occupée de mes montures, tant elles se ressemblaient… Deux « filles » donc, d’un mètre soixante cinq environ, dont le visage reflétait les flammes du feu… « Quel age pouvaient elles bien avoir ? » m’interrogeais-je ? Quarante ans peut-être… Visiblement gênées par mon regard les deux sœurs traversèrent la pièce pour se rapprocher du feu. Leur démarche était souple, presque féline, leur silhouette moulée par un pantalon serré… « Mangez, vous dit on, où votre bain sera froid » me répéta sèchement celle qui s’installait le plus proche de moi… Je voulais la questionner sur mes montures, savoir comment elles étaient logées… quand elle reprit d’une voix adoucie : « ne vous inquiétez pas, ils sont à l’étable, je leur ai donné un picotin d’orge et d’avoine, ils ont du foin à volonté, vos affaires sèchent… mangez ! ». Je balbutiais quelques mots de remerciements et fini mon repas dans un silence entrecoupé du seul bruit des couverts et du crépitement du feu. A peine le fromage terminé, celle que je pensais être l’aînée m’intima : « prenez des pommes et suivez moi, je vais vous conduire à votre chambre ». Je me levais donc, prenant une reinette à la peau rugueuse et suivi mon hôte en direction de ma chambre. Elle emprunta une petite porte qui s’ouvrait sur un long couloir… Sa silhouette dansait à la lueur de la flamme de la lampe à pétrole qu’elle tenait à la main, le froid du couloir me saisit. Nous laissâmes quelques portes avant qu’elle n’en pousse une sur laquelle le chiffre quatre était inscrit. Une chambre immense s’offrit à ma vue. Une cheminée à peine plus petite que celle de la pièce principale dévoilait un feu vif. Face à elle trônait une baignoire sabot en fonte. Un peu interloqué j’examinais le lieu, pensant que je me passerai de bain, n’ayant nulle envie de me plonger dans une eau glacée… Ayant sans doute compris mes intensions mon hôte dit : « vous devriez prendre un bain, ma sœur a passé plusieurs heures à faire chauffer de l’eau sur le feu, cela vous ferait du bien ». J’allais répondre de la remercier pour moi quand elle reprit en disant : « je vous laisse la lampe, votre lit est là ». Elle posa la lampe sur une table entre le lit et la baignoire et disparue, refermant silencieusement la porte derrière elle.
Et bien me dis-je, au moins la pièce est chaude, je m’approchais du lit, il semblait confortable quoiqu’un peu ferme… Un grand tapis de laine allait du lit à la baignoire, je me dévêtis rapidement et allait tremper un doit dans l’eau…
Qu’elle ne fut pas ma surprise de constater que non seulement l’eau n’était pas froide, mais qu’en plus elle était chaude, et sentait bon… Après trois jours de marche je n’allais pas faire le difficile et me félicitais en mon fort intérieur de cette opportunité de prendre un bon bain… Je me glissais dans l’eau tiède et après quelques instants de repos, entrepris de me frotter ardemment…
Une fois mon bain pris je sortis sur le tapis et m’approchais du feu pour me sécher. Je contemplais ainsi le feu, nu face à lui, quand un craquement de bois se fit entendre. Je cru que la porte de ma chambre s’ouvrait, mais il n’en fut rien, sans doute une porte voisine. Je me séchas bien vie et me glissais dans le lit douillet. Le drap blanc un peu rêche était agréable, parfumé de lavande. Ma fatigue était telle que je sombrais bien vite dans un profond sommeil…
Je devais dormir depuis plusieurs heures quand je m’éveillais soudain, comme il arrive que l’on se réveille au matin, l’esprit bien clair, prêt à partir. Je voulu me lever quand je m’aperçu qu’il m’était impossible de bouger les bras. Allongé sur le dos, nu, j’étais attaché à mon lit. Vaguement interloqué, vaguement paniqué, je me demandais si je n’étais pas en train de rêver… Un coup d’œil à la fenêtre m’informa que le jour n’était pas encore levé… Qu’elle heure pouvait il bien être, que faisais je ainsi attaché ?
Mon regard se porta sur le feu, il brillait avec la même intensité que la veille… Debout, à côté de la baignoire, mon hôte m’observait. Je voulu pousser un cri de surprise, l’interroger, mais aucun son ne sorti de ma bouche, j’avais la gorge nouée, stupéfié de la situation. Elle s’approcha doucement de moi, sans un bruit, et me sourit. Son visage m’apparu plus jeune, je discernai quelques rides autour des yeux, le teint hâlé des gens qui vivent dehors…
Elle était vêtue d’un peignoir transparent, à travers lequel se devinait une silhouette frêle agrémentée de deux minuscules seins…
Je lui avais donné quarante ans, son corps en paraissait 13 ou 14… Ce paradoxe accentua mon émoi. Que pouvait donc me vouloir cette femme, qu’est ce qui m’attendais, pourquoi ne pouvais je crier… mais qui donc m’aurait entendu, qui donc serait venu à mon secours ?
Elle continua de s’approcher de moi, elle touchait à présent mon lit.
Tel un fantôme je vis cette silhouette frêle s’élever sur mon lit, et me chevaucher.
Mon cœur devait battre à 150, une soudaine envie d’elle me pris.
Elle m’observait, toujours souriante, toujours muette…
Lentement elle fit glisser son peignoir, me révélant la peau blanche de son corps qui contrastait agréablement avec le teint brun de son visage et de ses mains.
Doucement elle s’avançât vers moi, le lit bougeait à peine, j’ignore comment elle parvenait à se déplacer, un genou de chaque coté de mon corps, me chevauchant tel un improbable cavalier, en m’effleurant à peine.
Parvenue au niveau de mes cuisses je sentis comme le frôlement duveteux de son intimité…
Elle continua d’avancer, je discernais à présent clairement son regard. Je n’avais pas remarqué à quel point son regard était noir. A peine visible, à contre jour, le feu derrière elle, ses yeux semblaient lui traverser la tête, me brûlant au plus profond du cœur.
Tout en continuant à me regarder elle commença doucement à approcher son sexe du miens. Tel un foulard ou une plume je sentais son contact. Doucement, lentement, avec calme et méthode, elle entreprenait une délicieuse caresse tout en me fixant de ses yeux de braise.
J’ignore combien de temps ce manège dura, mais peu a peu je la sentais se rapprocher, m’engloutir au plus profond d’elle-même… la douce impression de perdre pied, de sombrer en sa possession m’envahis… je relevais la nuque pour regarder nos sexes, persuadé de l’avoir depuis longtemps pénétrée… Qu’elle ne fut pas ma surprise de constater que la lueur du feu passait encore entre nous, ce doux contact n’était en rien ses chairs, elle ne me touchait pas, je succombais à son aura…
Percevant mon émoi, et le terme proche de ma résistance, elle se dégagea lentement, la lueur du feu devenant plus intense…
Toujours avec la même douceur, le même cheminement improbable, elle remontait le long de mon corps, sans que je ne sente autre chose qu’un frôlement de plume humide…
Avançant ainsi elle passât mon nombril, mon torse, pour se retrouver au niveau de ma bouche.
Je n’étais attaché que des bras, j’aurai donc pu bouger le cou, le torse, mais j’étais comme paralysé par la situation.
Lentement son sexe vint en mon contact, et elle m’embrassa de son intimité, comme elle l’aurait fait de sa bouche.
Je voulais déglutir, je voulais lui parler, je voulais lui dire la délicieuse caresse qu’elle me donnait ainsi … mais je ne pouvais pas…
Ma langue sortie de ma bouche, comme aspirée par son intimité, cherchait à entrer en son contact… Comme précédemment pour mon sexe, elle n’y parvint pas ! Je pouvais la sentir, je la voyais sur moi, mais ne parvenais pas à la toucher réellement… Son bassin allait et venait doucement, à quelques millimètres de moi, inaccessible, et pourtant si proche…
Me yeux se portèrent sur son regard, que je vis vaciller… Sa tête s’inclina légèrement en arrière, son corps se raidit, je sentis soudain ses mains sur les miennes, une sirupeuse liqueur me dégoulinant dans la gorge.
Imaginez mon émoi en cet instant. Mon envie de la posséder était immense, mais comme précédemment, rien ne semblait pouvoir entrer en contact avec elle…
Elle jouit longuement, silencieusement, à quelques millimètres de moi, seules ses mains accrochées aux miennes, ses ongles me labourant les chairs, me permettant de saisir le plaisir qu’elle ressentait….
Ma tête semblait exploser, mes tempes battaient, j’étais tétanisé de désir, incapable de bouger…
Soudain ses mais se firent plus légères, son sexe se recula, sa tête s’inclina vers moi et je vis son sourire.
Avec la même lenteur qu’elle avait mise pour s’approcher de moi, je sentis son bassin reculer…
Mais sa position avait à présent bien changée, elle approchait son torse de ma bouche et m’offrit un téton à baiser. Le contact de sa chair sur mes lèvre déclencha coup une décharge au plus profond de moi. J’embrassais, je léchais, je mordillais enfin quelque chose de palpable, quelque chose de réel… Elle me présenta son autre sein dont je me régalais de la même manière, frottant mon nez contre sa pointe durcie, tel un enfant cherchant à téter.
Ce manège dura plusieurs minutes, avant que je ne prenne conscience de la situation et que je ne cherche à croiser son regard. Elle m’observait, d’un œil joueur, que la braise avait quitté, comme amusée de mon comportement. Elle se recula encore un peu, dérobant son sein à ma bouche, m’offrant ses lèvres en un baiser profond…
Je ne sentais plus que sa bouche sur la mienne, son corps avait comme disparu quand soudain le contact de son sexe se fit sentir…
Se contorsionnant comme un diable elle parvint à me faire entrer en elle, lentement, délicatement, profondément.
Elle posa ses mains sur mes épaules, mes mains caressaient ses seins, elle me fit ainsi l’amour de longs instants… L’imperceptible aura était à présent bien réelle, experte, ses lents et réguliers va et viens s’intensifièrent pour me conduire à l’orgasme.
J’ignore si elle jouit à nouveau en cet instant, mais son visage s’éclaira d’une lueur divine. Peut-être était ce les flammes qui avaient repris de la vigueur dans le feu, se reflétant sur elle…
A partir de ce moment, vidé, mon corps se rappela peu à peu à moi… Mes pieds réapparurent, mes courbatures, mon corps reprenait place peu a peu, dans son intégralité. Elle s’allongea sur moi, frotta son museau contre mon torse, et s’endormi, sans desserrer son étreinte. Je ne tardais pas à sombrer à mon tour…
Quand je repris conscience une pâle lueur filtrait à travers les carreaux de ma chambre. Le jour pointait à l’horizon, il était temps de se lever.
Les souvenirs de mes rêves nocturnes revinrent à ma pensée. La chambre était vide, le feu brûlait toujours de la même flamme, aucune trace ne semblait confirmer mes songes. Je regardais mes poignets, pas de marque… allons, j’avais du rêver.
Un peu troublé tout de même, je me préparais à m’habiller quand je constatais que mes vêtements avaient été lavés, séchés et repassés durant la nuit… Ma chemise de lin épais avait retrouvé son blanc et dégageait une fraîche odeur de lavande. Quelqu’un était donc bien entré dans ma chambre, ne serait ce que pour ça…
Je finis de m’habiller rapidement et me dirigeais vers la grande sale commune.
Le feu brûlait toujours, le repas de la veille avait été remplacé par des pots de confiture, et deux brocs fumants. Seule la miche de pain semblait avoir gardé sa place.
Plus familier des lieux, mon regard se porta de suite vers l’âtre, à la recherche du vieil homme, et dans les différents recoins de la pièce, à la recherche de ses filles…
A peine le seuil franchit la voix sèche me dit : « allez déjeuner ». J’obtempérai sans broncher, devenu habitué des bonnes manières du maître des lieux… J’étais en revanche fermement décider à croiser le regard de ses filles, dès que je les verrai, soucieux de trouver en elles une quelconque explication à ma nuit… avais je rêvé, le repas de la veille était il trop lourd, avais je été la victime consentante d’une de mes hôtesses ?
Je décidais donc de me dépêcher de prendre mon petit déjeuner, espérant trouver dehors les personnes susceptibles de me donner les explications que j’attendais…
Les brocs étaient remplis de lait chaud et de café. J’évitais le lait, mais trouvais le café délicieux… Le pain, quoique m’ayant semblé être le même que la veille, était croustillant, le beurre parfumé, les confitures variées, toutes meilleures les unes que les autres… je m’empiffrais !
J’en étais à ma quatrième ou cinquième tartine quand mes résolutions matinales me revinrent à l’esprit : la route serait longue, il ne fallait pas traîner… J’engouffrais le fond du bol de café, me levais et me dirigeais vers le vieil homme pour prendre congé, quand celui-ci se leva soudainement et me fit face.
Son regard glacial se posa sur moi. Je reconnu instantanément le regard de sa fille, perçu dans la nuit, mais ce regard était différent, il semblait vide. Ce vieillard que je pensais minuscule, recroquevillé sur sa chaise, devait avoisiner le mètre quatre vingt dix. Il me toisa de toute sa hauteur et me dit sèchement : « vos montures vous attendent ». Cette phrase raisonna en moi comme un glas, mais où étaient donc passées ses filles ?
Percevant sans doute mon interrogation muette il ajouta : « mon aînée à conduit la cadette en ville, elle était souffrante, elle a préparée vos chevaux avant de partir ».
D’une main ferme il me pris par l’épaule et me dirigeât vers la sortie.
Le soleil était levé, mes chevaux brossés, selle et bât avaient été inversés, comme à mon habitude, comment avait-elle deviné ?
Fortement déçu, je réglais ma nuit et pris congé, remerciant le vieil homme de son hospitalité.
Je montais en selle et pris le chemin principal de « Camp haut », que j’avais aperçu en arrivant la veille…
Ce chemin d’environ deux mètres de large était entouré de pierres, il courrait sur le plateau quelques mètres, puis se dérobait à ma vue. Nous partîmes d’un bon pas, j’en profitais pour inspecter visuellement mon chargement, il était parfaitement ajusté, traduisant l’expertise de la fille dans le harnachement des chevaux…
Nous avions fait environ cinq cents mètres, le plateau s’achevait, la forêt de pins refaisait surface. Alors que la voie principale allait tout droit ma monture obliqua subitement à gauche, par un petit sentier qui longeait le mur de clôture. L’herbe était épaisse et drue, mon cheval parti au trot, puis au galop, suivi du cheval de bât.
Je ne réalisai pas de suite que tel n’était pas notre itinéraire, lassé de plusieurs heures de marche de la veille, je me dis sans doute inconsciemment qu’un peu de galop nous ferait du bien… Nous chevauchâmes ainsi quelques minutes avant que je ne prenne conscience de mon erreur et décide d’arrêter mon monde. Je plongeais ma main dans ma fonte droite pour en extraire la carte et regarder où donc ce bougre d’animal était en train de me conduire…
Glissant ma main dans la sacoche, je saisis au lieu de ma carte une feuille de papier, arrachée d’un petit cahier pour enfant, sur laquelle figurait un croquis de balade et les indications suivantes : « Le voyageur qui devait bivouaquer chez nous ce soir ne viendra que demain. Si vous désirez rester vous pouvez effectuer le tour qui figure sur cette carte, il est fort plaisant et permettra à vos monture de mieux récupérer des fatigues de la veille ».
A la lecture de ces quelques mots mon cœur ne fit qu’un bon… était ce un indice, la preuve que je n’avais pas rêvé ? Quel était donc le tour proposé, après tout, je n’étais pas pressé, je n’étais attendu dans aucun autre gîte… Je pris ma carte afin de corroborer les indications de ce plan à celles de l’IGN… Qu’elle ne fut pas ma surprise de constater que pour effectuer ce circuit il fallait tourner à gauche, à l’entrée de la forêt, au lieu de continuer sur le chemin principal…
Comment mon cheval avait il pris cette direction, et pourquoi ? Etait ce le fait du hasard, ou cette étrange fille lui avait elle susurré à l’oreille une direction particulière ? J’éclatais de rire en prenant conscience de mon délire… donner l’itinéraire au cheval, mais tu divagues !
Toutefois, curieux de revoir mes hôtesses, je décidais d’effectuer ce détour imprévu.
Après plusieurs heures de trop et galop, entrecoupés de pas, pour laisser souffler la cavalerie, je rejoignis une minuscule clairière coupée par un petit ruisseau, idéal pour bivouaquer ! Je regardais le plan, ce point était d’ailleurs indiqué à cet effet… Je dessellais mes montures, débâtais, et me préparais à déjeuner de fruits secs quand ma main se posa sur une masse souple, inattendue à cette place. J’ouvris un peu plus ma sacoche pour constater que j’avais touché un paquet de feuilles de roseau repliées, au sein duquel se trouvait un sandwich. Délicate attention. Le pain était toujours aussi mystérieux, croustillant comme si il sortait du feu… Un délicieux pâté rassasiât mon appétit, une pomme complétant ce repas… Je me laissais gagner par la torpeur des lieux, et aurais volontiers faits la sieste… Ne voulant toutefois pas commettre la même erreur que la veille, je regardais la carte pour estimer le chemin qui me restait à parcourir… J’avais fait la moitié, il était quinze heures, il fallait y aller…
Je remontais en selle et repris le chemin de Camp haut.
Le soleil venait de glisser derrière les montagnes quand je rejoignis mon gîte. J’avais fait une boucle et me représentais en ces lieux par le petit portillon entre les pierres. Le portillon franchi je m’attendais à entendre la voix sèche de la fille aînée m’accueillant d’une quelconque amabilité… Aussi, ce n’est pas sans une certaine déception, que j’entendis la voix du vieil homme me dire : « rentrez vous reposer, je m’occuperai de vos montures ».
Où étaient donc passées ses filles ?
Habitué à obtempérer avec ces gens là, je m’exécutais, non sans jeter un regard par dessus mon épaule afin de voir comment il s’y prenait avec mes chevaux… Tout semblait aller pour le mieux, il n’était peut-être pas aussi vieux qu’il y paraissait…
Entré dans la pièce principale la table était mise, sauf que cette fois deux assiettes étaient posées, cotes à cotes. Pourquoi deux ? Le voyageur qui avait annulé était il en définitive arrivé ? Je m’asseyais sur le banc et regardais contrarié le décor de la pièce. Une bibliothèque, de vieux ouvrages d’hippologie, des plaques de concours équins… Le vieil homme avait visiblement une longue histoire… J’étais plongé dans mes rêves quand la porte s’ouvrit et qu’il refit son apparition. Il s’approchât du feu sans mot dire, attrapât la marmite qui chauffait et la posa sur la table. Avec une souplesse que je n’aurais pas imaginée à son age, il vint s’asseoir près de moi et nous servit un copieux pot au feu.
Il me fit signe de commencer à manger, il n’y avait visiblement personne d’autre à attendre… Nous mangeâmes sans dire un mot, je n’osais entamer une conversation avec lui.
Le repas s’achevait tristement, point de trace de ses filles, quand il rompit le silence…
Ce vieil homme taciturne commençât à parler, de lui, de sa vie ici, de sa femme morte en lui donnant ses deux filles, jumelles, fausses jumelles. L’exploitation était au père de sa femme, il y élevait des chevaux, lui était douanier, et sillonnait les montagnes… Un soir de tempête il avait du s’arrêter ici, pris au dépourvu. Les habitations étaient plus nombreuses à l’époque, il était attendu à seulement cinq kilomètres, mais le soir qui tombait l’avait empêché de finir. La fille du maître de maison lui avait servi à table un délicieux ragoût et l’avait conduit se coucher dans la chambre réservée aux invités, la chambre quatre… Il avait beaucoup mangé, c’était bon, beaucoup rit aussi, elle était jolie… Pendant la nuit elle l’avait rejoint en son lit, ils ne s’étaient plus quittés. Il avait repris l’exploitation du père, démissionné des douanes… Très gêné par cette histoire j’observais mon hôte afin de déterminer le vrai du faux…
Il y avait il ruse, un message à déchiffrer ?
Il ne semblait pas, telle était bien sa vie…
Il me raconta la mort de son beau-père, puis de sa femme, et comment il avait du élever seul ses deux filles.
Je compris alors d’où lui venait son regard… la vie l’avait quitté depuis bien longtemps, il avait fait ce qu’il devait faire, tel était son destin. Je voulu alors lui parler de ses filles… Il se détourna vers moi et me dit un rictus aux lèvres : elles n’ont jamais voulu quitter Camp haut. Toutes les familles sont peu a peu parties, elles, elles ont voulu rester. Je m’y suis opposé, j’ai voulu les envoyer à l’école chez mon frère, en ville… elles avaient dix ans, et ont fait cinq jours de marche seules pour revenir ici, comme guidées par leur instinct… Je lui demandais où elles étaient, il me répondit la même chose qu’au matin, elles étaient allées en ville, la cadette étant souffrante…
La soirée passa ainsi, il m’indiqua ma chambre, la quatre, le feu y brûlait comme la veille, mais la baignoire était vide…
Ma nuit passa comme un trait, je ne me souviens d’aucun rêve…
Au matin mes habits étaient tels que je les avais laissés la veille, je partis petit déjeuner, sans trop savoir ce que je faisais encore en ces lieux… Le vieil homme était au coin du feu, son salut fut bref et sec, comme s’il avait oublié ses confidences de la veille. Il prit congés de moi sans sortir, visiblement gêné de me voir m’attarder en ces lieux…
Mes montures étaient prêtes, je montais en selle et partis rapidement, sans me retourner.
Mon périple se termina comme prévu, huit jours de randonnée en montagne, ça fait un bien fou…
Je regagnais la civilisation, mes enfants, le travail, la vie, la vrai, pas celle qu’on rêve…
Dix ans s’écoulèrent ainsi, agrémentés de plusieurs excursions équestres…
Au printemps dernier je fus invité par des amis à festoyer pour leur acquisition d’un ensemble de bâtisses en montagne. Le repas fut copieux, trop, la nuit agitée … je fis un drôle de rêve… je revis la fille aînée de Camp haut. Une irrésistible envie de savoir ce que ces lieux étaient devenus me poussa à organiser un périple l’été suivant, revenir pour voir…
Mes montures étant toujours alertes, je refis mon bagage, et repris le sentier cheminé quelques dix ans plus tôt…
J’arrivais à Camp haut en fin d’après midi, le quatrième jour, mes chevaux ont vieillis, ils ont besoin d’étapes plus courtes, moi aussi.
Le paysage était le même, et pourtant tout y avait changé… Les bâtisses en ruines avaient été rasées, certains toits reconstruits, le chemin qui quittait Camp haut était encastiné, un quatre-quatre dans la cours. Je franchis le portillon quelque peu désabusé, je ne m’attendais pas à ça…
Une femme d’une quarantaine d’année m’accueillit souriante, me proposant de s’occuper de mes chevaux… était ce elle ? Le regard semblait avoir la lumière de mes rêves, mais comment aurait-elle pu ne pas vieillir ? D’où lui viendrait ce sourire ? Elle m’invitât à me joindre à eux pour manger… Eux, un vieil homme immense, elle, et deux enfants, deux garçons, presque identiques, presque jumeaux…
Je n’osais dire à ces gens que j’étais venu ici par le passé, tout était maintenant si différent… On parle chevaux, les ventes sont bonnes, les enfants sont en vacances…
Arrive le moment de se coucher… qu’elle chambre me donnera t’on ?
Un groupe électrogène éclaire les lieux, mais c’est bien vers la chambre quatre que la maîtresse de maison me dirige… Cette chambre, seule, n’a pas changée, en dehors de la lumière qui n’est plus une lampe à pétrole… Le lit est le même, le feu est le même, la baignoire est présente, vide. Mon sommeil est agité, je crois revivre mon rêve passé, je crois sentir sa bouche sur la mienne, le goût de son sexe… mais tout cela n’est que rêves, j’en suis sûr à présent…
Le matin arrive enfin, je vais pour m’habiller. Mes vêtements ont été lavés, repassés, un frisson me parcours. J’enfile chemise et pantalon, chaussettes, et prends ma veste.
Une lettre tombe.
Enveloppe jaunie cachetée de cire… Je déchire fébrilement et trouve une feuille de cahier arrachée, contenant ces mots : « Je meurs après avoir donné la vie, deux garçons éclaireront ces lieux de leurs cris. Mon père et ma sœur les instruiront. Vous nous avez redonné la vie. Merci ».
Abasourdis par ces mots je tombe assis sur mon lit.
Cette écriture, je la reconnais, c’est celle du plan.
Je me rappelle le regard de ces enfants, de l’impression bizarre que j’ai eu en les voyant, du regard de cette femme, leur tante, le même regard que leur mère cette nuit là… du regard du vieil homme, le même regard qu’autrefois, mais éclairé de vie, comme si le temps avait fait marche arrière en ces lieux…
Une heure, peut être deux, s’écoulent avant que je ne me décide à rejoindre la sale commune.
Le petit déjeuner est prêt, un mot m’indique que la maîtresse de maison a du partir, qu’elle a tout préparé…
Je bois un bol de café, une gorgée, le ventre noué, rien ne veut passer.
Mes chevaux m’attendent dehors, je monte vite et emprunte le chemin principal, au pas lent…
Arrivé au bout, la lisière de bois… Ma tête se tourne vers la gauche, le petit chemin, existe-t-il toujours ? Je scrute le long du mur, il semble avoir disparu… Une voix me fait sursauter, le vieil homme était là, contre le mur, il m’observait, comme faisant partie de ces lieux, qui furent toute sa vie… « Partez » me dit il « Votre vie est ailleurs, tel était son choix. Respectez le ».
Je ne peux prononcer un son, ne peux bouger, comme paralysé par ces mots qui rajoutent à mon effroi…
Mes chevaux, eux le comprennent, ils repartent au pas, et attaquent un petit trot, tout droit, toujours tout droit…

NB: toute ressemblace avec des personnages ou des lieux existants ou ayant existé ne serait pas purement fortuite

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Commentaires
P
@Ambre: merci, oui, je veux bien une correction orthographique, suis pas doué et à me relire je ne vois plus mes fautes...
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A
Et bien je suis passée relire, en prenant le temps, et c'est un beau conte, vraiment. J'aime l'ambiance de la montagne, de la randonnée loin de tout, de l'endroit loin des régions habitées, la description des impressions du narrateur, les personnages étranges, l'érotisme de cette nuit magique, les correspondances dans l'histoire, la "boucle bouclée", et le style pour dire tout ça. <br /> (Un tout petit bémol, quelques fautes d'orthographe, ce n'est pas gênant à la lecture, mais si tu veux faire quelque chose de cette histoire, la publier, une relecture peut être utile, tu peux me l'envoyer et je le fais si tu veux.)<br /> Merci pour cette lecture qui m'a fait rêver !
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P
@doigt de miel: hihi, merci<br /> <br /> @chilina: merci, pas de regret dans la vie, juste savoir tirer profit de ses erreurs...<br /> <br /> @charivarii: merci<br /> <br /> @Gicerilla: ben merci aussi<br /> <br /> @Ambre: il devrait rester en ligne... tu as tout ton temps<br /> <br /> @Flo: forcément, il fallait que tu t'interroges (sourire). Camp haut existe (pas tout à fait ce nom), c'est un petit village en ruines traversé à cheval, une dimension merveilleuse portée par le lieu, coupé de tout...<br /> Même si l'histoire est inventée je pense qu'elle aurait pu se produire, disons dnas les années 50 ou 60...<br /> <br /> @Vellini: vous étiez si légère que ma monture n'en a pas souffert...<br /> <br /> @Multi-sourires: merci à toi
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M
Profondément touchée par cette femme<br /> ce désir de maternité, cette flamme<br /> Emue par ce texte qui me laisse rêver<br /> Merci Phil pour la douceur de ce billet
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V
Hummm... Que c'est beau! Vous m'avez embarquée avec vous! :)
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